L'oeil de Téléfoot - Brest l'impatient est devenu Brest le bâtisseur

En faisant confiance à Jean-Marc Furlan, les nouveaux propriétaires du Stade brestois ont fait le choix d'un bâtisseur. S'il a loupé la montée en Ligue 1 à un point près en 2016-2017, le technicien maintient le cap : pérenniser le centre de formation, remplir le stade, faire de Brest une équipe attrayante et une "institution". Tant pis si cela prend un peu plus de temps.

Ne parlez surtout pas à Jean-Marc Furlan de montée. Du haut de son expérience longue de vingt ans, l'entraîneur du Stade brestois se fait bien prudent à l'heure d'évoquer son objectif de la saison : "Ce qu'on veut, c'est prendre les 40 points (souvent synonymes de maintien, Ndlr) le plus tôt possible. Et ensuite, on verra…" Pour une équipe passée à un petit point de l'accession en Ligue 1 la saison dernière, cette modération peut surprendre.

Et pourtant, Jean-Marc Furlan sait de quoi il parle. Des montées, il en a connues à la pelle, trois en Ligue 1 avec Troyes, son précédent club, deux avec Libourne (du CFA2 au National). Alors s'il paraît si frileux sur la situation du Stade brestois, c'est qu'il sait que tout n'est pas réuni pour que Brest se mette à rêver plus grand.

Acquérir la continuité est le préalable à tout. "Pour appliquer un projet de jeu, une philosophie ou des habitudes de vie, il faut garder des joueurs. Plus les joueurs se connaissent, mieux ils jouent au football." A Brest, ce n'est pas forcément le cas encore. Contre Lens, le 19 août, seuls trois titulaires alignés par Jean-Marc Furlan portaient déjà les couleurs du club breton en 2016-2017. Ce qui ne les a pas empêchés de gagner 4 buts à 2.

"Tous ceux qui fixent des objectifs ne les remplissent jamais"

Mais ne comptez pas sur les dirigeants brestois pour s'enflammer. Même leur vocabulaire a changé. "On n'est pas programmés pour finir dans les trois premiers mais on a de l'ambition", disait par exemple en début de saison, dans Ouest-France, Grégory Lorenzi, le directeur sportif du SB29. Même discours dans la bouche de son coach : "Tous ceux qui fixent des objectifs ne les remplissent jamais. Les objectifs, c'est dangereux. L'ambition, c'est bien."

La différence réside dans le calendrier. Brest a le temps, à commencer par le temps de ses ambitions. Une patience qui ne figure pas franchement dans son ADN. Le SB29, c'est un peu le club des passionnés du bout du Finistère, où on aime la manière, le résultat et, si possible, les deux ensembles et assez rapidement.

Olivier Guégan, qui y a joué cinq saisons entre 2004 et 2009, se souvient : "Brest, c'est une ambiance à l'anglaise, une vraie ferveur. C'est un peu le village gaulois au bout de tout. Il y a là-bas une vraie identité, une attente très forte. Les gens connaissent vraiment le ballon." Alors, pour satisfaire cette exigence populaire, les dirigeants successifs du club se sont parfois laissés prendre dans l'ivresse de la compétition.

L'exemple le plus frappant remonte au milieu des années 1980. En 1986, le président du renommé "Brest Armorique Football Club" - il paraît que c'était plus clinquant -, François Yvinec, monte une équipe du tonnerre. Il fait émerger les jeunes du centre de formation : Vincent Guérin, Paul Le Guen ou Patrick Colleter, qui feront la gloire du PSG Canal+, mais il recrute surtout quelques noms, parmi lesquels José Luis Brown, tout juste auréolé d'un titre de champion du monde avec l'Argentine de Maradona, et Julio César, alors international brésilien.

Les chimères des années 80 : rivaliser avec Bez, Tapie, Borelli

Résultat : Brest finit huitième de D1, le meilleur classement de son histoire. Mais un an plus tard, l'édifice s'écroule et le club est relégué en deuxième division. Il remonte un an plus tard et se dote à nouveau d'une équipe prometteuse : Colleter est toujours là, les jeunes et futurs internationaux Corentin Martins et Stéphane Guivarc'h font leur trou et Yvinec fait encore parler de son club en allant chercher, contre 6 millions de francs, le buteur paraguayen Roberto Cabañas.

Cette fois, l'illusion dure deux ans mais bute encore sur le mur de la stabilité. En proie à un déficit monstre et à des difficultés structurelles, Brest est relégué en deuxième division puis en troisième division. Et doit se reconstruire de fond en comble. Thierry Goudet, joueur du club entre 1986 et 1988, explique l'instable emballement qui a caractérisé le Brest de l'époque : "C'était l'époque de Tapie, Bez, Borelli… Tout le monde voulait rivaliser. Le président Yvinec avait aussi envie de se mêler à la bataille, d'une certaine manière, et les partenaires prestigieux, comme la famille Leclerc (NDLR, la grande surface sponsorisait le maillot), poussaient en ce sens."

C'est ainsi : Brest a traîné tout au long de son histoire une certaine instabilité, à la fois stimulante et dangereuse. Stimulante, parce que le club a tenté des choses, s'est ouvert parmi les premiers à des stratégies et méthodes innovantes. "Le premier ostéopathe dans un club de foot en France, c'était à Brest", se souvient par exemple Thierry Goudet. Dangereuse, parce qu'elle faisait miroiter un développement sans fondations pérennes.

Aujourd'hui entraîneur de Grenoble (National), Olivier Guégan est arrivé au club à l'étape d'après, lors du retour au niveau professionnel, en 2004. "J'en garde de grands souvenirs, affirme-t-il. J'y ai joué cinq ans en L2 et je m'y suis très bien senti. C'est une place forte du football français." Mais son œil aiguisé, lui qui a entraîné ensuite Reims en Ligue 1, se rappelle aussi des "conditions d'entraînement, des conditions d'accueil au stade qui n'étaient pas au niveau."

Revenu à l'époque comme entraîneur pendant quelques mois, en 2006, Thierry Goudet embraye : "A mon retour, j'ai vu que le club n'avait pas du tout évolué. Il n'y avait aucune amélioration ou presque. Les terrains d'entraînement étaient vétustes, le groupe pro avait deux petits vestiaires séparés… On a essayé de mettre en place des préfabriqués pour en faire des salles de soins, de musculations ou de vidéo. C'était compliqué."

"Dernier match à guichets fermés, on était fiers"

C'est pour toutes ces raisons que Jean-Marc Furlan parle des 40 points du maintien bien plus volontiers que de retour en Ligue 1. C'est également pour toutes ces raisons que Brest et son nouveau président, Denis Le Saint, entrepreneur local âgé de 53 ans, sont allés chercher l'expérimenté technicien de 59 ans. Si son ambition est bien claire, ses objectifs sont bien plus larges que le simple aspect comptable. L'enjeu est énorme : pérenniser le club, sa formation, ses structures, son lien avec le public, son projet global.

Alors qu'il lui reste deux années de contrat, Jean-Marc Furlan a déjà accompli une partie du travail. Son équipe, joueuse, a déjà fait revenir au stade un public qui le boudait jusqu'alors. "L'an dernier, on était seulement 6e à domicile, on perdait pas mal de points à la maison, relate-t-il. Pourtant, lors du dernier match, le stade était à guichets-fermés ! C'était une vraie fierté pour nous. Ici, les gens, ils veulent voir des beaux matches. Tant pis si on perd, mais ils veulent se régaler."

Et Lenny Pintor choisit Brest

Pour le reste, les avancées ne sont pas toujours visibles mais elles sont capitales. Furlan énumère : "Le président a énormément investi pour nous offrir un nouveau centre d'entraînement digne de ce nom, on a mis en place une petite cellule vidéo, on a engagé un jardinier, on va avoir un deuxième terrain au centre… On pose des pierres, on construit dans tous les domaines." Pour le reste, la patte et l'aura du coach doivent permettre à Brest d'attirer et de fidéliser des joueurs.

Mi-août, le club a annoncé la signature de Lenny Pintor. Le nom ne vous dit sûrement rien mais c'est, pour l'écurie bretonne, une grande victoire symbolique. International français U17, cet attaquant puissant était libre depuis la fermeture du centre de formation de Bastia. Une vingtaine de clubs s'étaient manifestés pour l'attirer, parmi lesquels la Juventus et Arsenal. C'est finalement Brest qui a raflé la mise.

Cette signature symbolise la nouvelle politique du club. Consolider et préparer l'avenir. Quand tout cela sera en place, il sera alors temps de passer des ambitions aux objectifs. "Ce club a tout à fait sa place en Ligue 1", insiste Olivier Guégan. Thierry Goudet confirme : "Le SB29 est sur la bonne voie. C'est un club qui retrouvera l'élite." Cette fois, pour la première peut-être, il ne brûlera aucune étape.

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