Mythes Téléfoot : L'attentat de Schumacher sur Battiston

Des débuts laborieux
Pour la douzième édition de la Coupe du Monde, la France obtient sa qualification et se rend donc en Espagne. Au premier tour, elle hérite de l'Angleterre, de la Tchécoslovaquie et du Koweït. Première image forte de ce Mondial, . La France ne gagne qu'un match, et parvient à rallier le tour suivant. Elle hérite de l'Autriche et de l'Irlande du Nord, mais ne tremble pas. Elle gagne ses deux rencontres, et est donc qualifiée pour la demi-finale. Dans le même temps, la RFA passe tranquillement le premier tour, et brille dans le second face à l'Angleterre et l'Espagne. L'équipe de Rummenigge va donc retrouver la France pour une place en finale.
L'agression de Schumacher
Le 8 juillet 1982, au stade Sánchez Pizjuán de Séville, les deux ennemis historiques de l'histoire croisent donc le fer en demi-finale du Mondial. D'un côté la RFA de Breitner, de l'autre la France de Platini. La rencontre commence mal pour les Bleus. C'est le début d'une véritable soirée cauchemardesque, qui fera passer les Français dans tous les états, de la joie à la déception la plus totale, en passant par la colère. A la 17ème minute, Littbarski ouvre le score pour les Allemands. Poussé par 70 000 spectateurs, Michel Platini égalise sur pénalty dix minutes plus tard.
Dans un contexte souvent tendu, l'arbitre, Charles Corver, ne réagit pas. Harald Schumacher charge d'abord de manière violente Didier Six et lui assène un coup de coude, avant que Kaltz ne s'essuie les crampons sur Genghini. A la 50ème minute, Patrick Battiston remplace d'ailleurs Genghini. Sept minutes plus tard, une des agressions les plus violentes de l'histoire du football a lieu. Le joueur qui évolue alors à Saint-Etienne hérite d'un bon ballon en profondeur, et file droit vers le but. Il tente un tir lobé, qui rase les cages. Mais les yeux des spectateurs ne sont pas rivés sur les buts, mais bien quelques mètres à côté. Schumacher s'empale sur Battiston d'un coup d'épaule et de genou placé à hauteur de la tête du Français. Battiston retombe KO sur la pelouse, inanimé. Schumacher ne touche pas le cuir, et, pire encore, son geste n'est même pas sanctionné. L'arbitre-assistant ne bronche pas, pensant que la faute n'est pas intentionnelle. Quant à l'auteur de l'attentat, il ne se soucie aucunement de sa victime. Il continue de mâcher son chewing-gum.
Trois dents en moins
Patrick Battiston ne parvient pas à se relever. Les médecins se précipitent sur le terrain, et l'évacuent sur civière. Michel Platini, sonné par l'événement, accompagne son coéquipier en lui donnant la main. Certains pensent au pire. Battiston va-t-il s'en remettre ? « Patrick avait brusquement l'allure d'un type sur le point de nous quitter. Un type qui va mourir », explique Alain Giresse dans un livre sur cette Coupe du Monde. Le futur joueur de Bordeaux s'en sort fort heureusement. Dans la bataille, il perd néanmoins trois dents, souffre d'une commotion et passe toute une nuit à l'hôpital dans le coma avant de rejoindre ses troupes le lendemain. De retour en France, alors qu'il subit des examens complémentaires, le diagnostic s'alourdit. Il souffre d'un lourd traumatisme crânien, et sa deuxième vertèbre cervicale est fissurée. Il porte alors une minerve, et manque une bonne partie de la saison avec les Girondins de Bordeaux.
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— Old School Panini (@OldSchoolPanini) 12 Décembre 2013
Harald sous l'effet de l'éphédrine ?
Cinq ans après cet honteux événement, Harald Schumacher décide de délier sa langue. Dans son autobiographie, Coup de sifflet, il revient sur la journée qui a fait tomber Battiston dans le coma. Quelques heures avant le coup d'envoi, les joueurs auraient pris de l'éphédrine, une substance dopante censée développer l'agréssivité. Les effets ne tardent pas à se faire sentir. Klaus Fischer détaille l'anecdote. Accompagné de Schumacher et Littbarski, ils restent coincés dans un ascenseur, avant de rejoindre le bus de l'équipe. Quelques personnes commencent à paniquer, mais Schumacher ne comptent pas se laisser faire par un engin mécanisé. Enragé, il entrouvre la porte. Comme une mésaventure n'arrive jamais seule, arrivé au stade, le fantasque portier allemand s'aperçoit qu'il a oublié sa tunique bleue ciel. « Le bleu ciel, celui qui me portait chance et que j'enfilais toujours. Le bus était parti. J'ai mis quelques minutes à m'en remettre, j'étais décontenancé, tendu. Et j'ai dû enfiler un maillot rouge, le même qu'Ettori. Mais, avec mon short bleu, je ne ressemblais à rien », explique-t-il.
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— 80's Football (@80s_football) 3 Juin 2014
« C'est étonnant, il est excité ! »
Comme un signe du destin, Battiston, qui est sur le banc de touche lors du coup d'envoi du match, remarque le comportement étrange du gardien adverse. « Je suis dans le match mais tranquille, sans stress particulier car je me dis que l'équipe va bien jouer, qu'il n'y a pas de raison pour que je rentre en jeu, d'autant que je suis défenseur. Je me souviens d'avoir fait la réflexion à Christian Lopez, depuis le banc de touche un peu encaissé : T'as vu, le gardien chez eux, il est chaud, agressif, c'est étonnant, il est excité ! », raconte-t-il. Si après la rencontre Battiston ne se souvenait pas de son accident, la mémoire lui est ensuite revenue. Il explique : « Je me sens tellement bien, libre, dans un état qui me permet tout. Sans ces sensations d'euphorie, j'aurai pensé ne pas y aller, rester en place. J'y vais. Mais je vois une ombre, mon champ de vision se noircit. Mmmm... C'est pas bon. Mais j'ai très envie de toucher le ballon, au moins de terminer l'action. En fait, je pense que je peux toucher le ballon du gauche et l'esquiver. Et je sais que c'est trop tard. Mais je suis trop pris par le désir de le toucher un peu. Et Boum. »
Le Boucher de Séville
Le terrible geste du gardien de la RFA, ainsi que son attitude à l'égard d'un Battiston gisant sur le sol n'échappe à personne. La presse, qui pense que son geste est volontaire, le surnomme alors « Le Boucher de Séville ». L'image de Harald Schumacher est ainsi entachée à jamais. En France, il reçoit de nombreuses menaces de mort, et se fait insulter de « nazi ». Ses compatriotes allemands, quant à eux, l'accusent d'avoir ravivé la flamme éteinte du sentiment « anti-allemand » dans l'Hexagone.
1982 Semi Final: Infamous collision between West Germany goalkeeper Harald Schumacher and France's Patrick Battiston. pic.twitter.com/GlSl59wnKK
— World Cup Photos (@WorldCupPhotos1) 15 Mars 2014
Une rencontre Battiston-Schumacher
Face à l'ire de l'opinion publique, et menacé de toutes parts, Schumacher décide avec son agent d'organiser une rencontre avec Battiston. Huit jours après ce qui aurait pu être un drame, le bourreau rencontre sa victime à Metz, et lui serre la main. « J'ai accepté la proposition du manager de Schumacher d'organiser une réconciliation. Je ne me suis pas posé la question de savoir si c'était bien ou pas. Personnellement, je n'aurais pas cherché à faire la démarche. Mais cela a apaisé tout le monde », confie le joueur de l'équipe de France. Car si la violence du choc a été insoutenable pour un grand nombre de personnes, les propos à la fin de la rencontre tenus par Schumacher l'ont été tout autant. Un journaliste lui affirme que le joueur a perdu quelques dents lors du choc. Voici sa réponse : « S'il n'y a que ça, je lui paierai une couronne. »
« Mais je ferais la même sortie si l'action devait se reproduire »
Trente ans après les faits, les deux joueurs n'ont pas oublié. Récemment, Schumacher s'est confié dans les colonnes du Figaro. S'il regrette le déroulé de l'action, il serait prêt à le refaire : « On m'a traité de nazi, j'ai reçu des menaces de mort. Mes enfants ont aussi été menacés. J'en ai souffert. Je ne souhaitais pas le blesser. Mais je ferais la même sortie si l'action devait se reproduire. C'était le seul moyen d'avoir la balle.» Quant à Battiston, il a fini pardonné à son agresseur.
La suite de l'histoire est bien connue : la France mène 3-1 lors des prolongations, mais cède finalement aux tirs au but. Comme si une justice divine existait, la RFA s'incline en finale face à l'Italie.